« Check-Point » de Jean-Christophe Rufin

Voilà encore un livre que je vous conseille de lire cet hiver ! Il est sorti ce printemps et je l’ai lu dans la foulée, par de chaudes journées de juin… Ce livre faisait partie de la première sélection du Prix des lecteurs de l’Hebdo. En fait, je l’avais commencé avant de savoir que j’avais la chance de faire partie du jury de ce prix littéraire. D’emblée, je dois avouer que je n’aurais jamais acheté ce livre à cause de son titre. Mais quelle erreur ! Je remercie la personne qui me l’a chaleureusement recommandé.

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Un convoi humanitaire composé d’une jeune femme et de quatre hommes part pour la Bosnie durant l’hiver 1995. Les deux camions vont apporter des vivres et des médicaments à Kakanj où la population s’est réfugié dans des mines. Très vite, l’entente peu cordiale entre les différents membres de l’équipage génère de grandes tensions qui mettent leurs nerfs à vif. Chacun a un caractère bien différent et il est difficile au départ de cerner la motivation de l’engagement de chacun.  Maud est la seule à avoir des aspirations idéalistes voire naïves, l’un ne pense qu’à fumer des joints, un autre observe les faits et gestes de chacun, deux membres se connaissent bien et semblent cacher quelque chose aux autres. On est loin de l’image de fraternité et de solidarité que peut dégager le terme « humanitaire ». Rapidement, le convoi va se séparer et on assistera à une course-poursuite entre les deux « équipes ». Mais pour quel enjeu ?

On se retrouve très vite dans un huis clos angoissant, confiné dans une cabine de 15 tonnes. L’atmosphère devient de plus en plus étouffante au fur et à mesure qu’une épaisse couche de neige recouvre le sol. La psychologie de chaque personnage est bien détaillée et tout au long du roman, on hésite à prendre partie pour l’une ou l’autre équipe. Un récit qui nous oblige à réfléchir au rôle de l’humanitaire dans les pays de guerre et aux réels besoins des populations touchées.  Un thriller psychologique efficace !

Un amie, lectrice régulière de Rufin, m’a dit avoir préféré « Rouge Brésil » et « L’ Abyssin », je vais donc naturellement les mettre en haut de ma pile de livres !

« Check-Point » de Jean-Christophe Rufin, Gallimard, 2015.

« La fille de l’hiver » d’Eowyn Ivey et « Esprit d’hiver » de Laura Kasischke

Ce matin, l’hiver était presque là… on peut enfin (!) sortir les doudounes, l’écharpe, le bonnet et les gants… Voilà pourquoi je vous propose deux lectures de saison : le mieux serait un décor hivernal.. manteau de neige, feu de cheminée et tasse de thé bouillant agrémentée de petits biscuits de Noël pour le premier et si vous êtes invité le jour de Noël et avez ainsi du temps, lisez le second ce matin-là !

Eowyn Ivey, journaliste, vit en Alaska avec sa famille.  « La fille de l’hiver » est son premier roman. L’histoire est inspirée d’un conte russe.

Au début du siècle dernier, Mabel et Jack s’installe en Alaska après la perte de leur enfant. Le climat est rude et le labeur quotidien dans les champs les épuise. Chacun est enfermé dans sa douleur et le couple peine à communiquer. Un jour, sous une neige abondante, Mabel et Jack se mettent à s’amuser comme des fous devant la maison et modèlent une petite fille de neige. Ils habillent la sculpture avec des vieux habits. Le lendemain, Jack découvre des traces de pas près la sculpture…

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C’est une libraire qui m’a conseillé cette lecture et je ne l’ai pas regretté… Si le récit oscille entre fantastique et mystère, « La fille de l’hiver » est une belle histoire à lire comme un conte pour adulte… A recommander à tous ceux qui ont gardé le goût des histoires de leur enfance et qui aiment les ambiances de glace…

« Esprit d’hiver » de Laura Kasischke a remporté le Grand prix des lectrices de ELLE en 2014. J’ai souvent été enchantée de lire le lauréat de ce prix des lectrices et si vous êtes en panne de lecture, jetez un oeil sur la liste des gagnants,  vous ne serez pas déçus autant par la catégorie policier que roman.

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Ce matin de Noël rien ne se passe comme d’habitude. Holly se réveille en retard, son mari, Eric,  a filé chercher ses parents à l’aéroport, sa fille, Tatiana est irritable et maussade. Le blizzard se lève et les invités se décommandent les uns après les autres à cause de la tempête de neige.

Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut: Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.

Un suspense intense se dégage du début à la fin; le récit alterne les moments de cette matinée du 25 décembre et les souvenirs de Holly qui débutent treize ans plus tôt à l’orphelinat Pokrovka n°2. Tout au long de cette matinée, l’angoisse devient de plus en plus oppressante et il faut attendre les toutes dernières pages pour saisir l’intrigue. En aucun cas, ne lisez les dernières pages en avance !  Thriller psychologique étouffant…. et ébouriffant ! Décidément, j’aime beaucoup cette auteure et son écriture glaciale !

« La fille de l’hiver », d’Eowyn Ivey, 10/18, 2012.

« Esprit d’hiver », de Laura Kasischke, Le livre de Poche, 2014.

« Délivrances » de Toni Morrison

Ce n’est pas de ma faute. Donc vous ne pouvez pas vous en prendre à moi. La cause, ce n’est pas moi et je n’ai aucune idée de la façon dont c’est arrivé. Il n’a pas fallu plus d’une heure après qu’ils l’avaient tirée d’entre mes jambes pour se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Vraiment pas. Elle m’a fait peur, tellement elle était noire. Noire comme la nuit, noire comme le Soudan. Moi, je suis claire de peau, avec de beaux cheveux, ce qu’on appelle une mulâtre au teint blond, et le père de Lula Ann aussi. Y a personne dans ma famille qui se rapproche de cette couleur. Ce que je peux imaginer de plus ressemblant, c’est le goudron; pourtant, ses cheveux ne vont pas avec sa peau. Ils sont bizarres : pas crépus, mais bouclés, comme chez ces tribus qui vivent toutes nues en Australie.

C’est ainsi que Sweetness décrit sa fille, Lula Ann Bridewell à sa naissance. Elle refusera de la toucher, lui demandera de ne pas l’appeler maman, mais Sweetness, pour ne pas rendre les gens perplexes. Son mari la soupçonne d’adultère et la quitte. Durant toute son enfance, Lula Ann cherchera à gagner l’affection et l’estime de sa mère. A huit ans, elle ira même jusqu’à apporter un faux témoignage lors du procès d’une institutrice soupçonnée d’attouchements sur des enfants pour attirer l’attention de sa mère.

J’ai jeté un coup d’oeil à Sweetness; elle souriait comme je ne l’avais jamais vue sourire auparavant : avec la bouche et avec les yeux. Et ce n’était pas tout. A l’extérieur du tribunal, toutes les mères m’ont souri, et deux m’ont réellement touchée et serrée dans leurs bras. Des pères levaient le pouce pour me féliciter. Le mieux, c’était Sweetness. Le temps qu’on descende les marches du tribunal, elle m’a tenue par la main… par la main. Elle n’avait jamais fait ça avant et ça m’a surprise autant que ça m’a fait plaisir parce que j’avais toujours su qu’elle n’aimait pas me toucher.

Devenue adulte, Lula Ann change de nom et se fait appeler Bride. Elle n’est plus la petite fille insultée dans la cour de récréation, la face de charbon méprisée.  Elle est devenue une jeune femme brillante et très belle, sur le point de lancer sa propre ligne de cosmétiques « Toi ma belle ». Mais derrière cette réussite sociale, Bride n’arrive pas à oublier cette culpabilité qui la ronge : avoir envoyé derrière les barreaux une femme innocente. Quand Sofia Huxley, l’institutrice qu’elle a accusée à tort sort de prison, elle veut à tout prix se faire pardonner. Le résultat n’est pas celui qu’elle attendait. De plus, son petit ami la quitte brutalement par un : « T’es pas la femme que je veux ».

Déstabilisée par ces événements, Bride part à la recherche de Booker, son petit ami qu’elle connaît finalement bien peu… Durant son périple, elle rencontrera une famille hippie, une jeune fille qu’elle prendra en affection et elle découvrira peu à peu les secrets de Booker.

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C’est le premier livre que je lis de cette grande écrivaine américaine, prix Nobel de littérature en 1993. J’ai aimé la manière dont elle a exploré les facettes de son personnage central Lula Ann Bride, petite fille, adulte, tour à tour racontée par sa mère, sa collègue… La couleur de peau reste un thème central et le racisme au sein de sa propre famille interroge le lecteur. L’enfance et plus particulièrement les abus liés à l’enfance sont bien représentés dans le récit : Rain, rejetée par sa mère prostituée, le frère de Booker tué par un pédophile, Lula Ann rejetée à cause de la trop grande noirceur de sa peau… Un livre qui parle d’injustice, qui dénonce la négligence et la maltraitance envers les enfants, qui dresse un état des lieux du racisme… un roman engagé qui ne se laisse pas oublier et qui fait réfléchir !

« Délivrances » de Toni Morrison, Christian Bourgois éditeur, 2015.