La première question que je me suis posée c’est : « Mais de quoi parle ce livre ? ». Il suffit de lire quelques pages pour comprendre ce titre intrigant. Le peuple Toraja, en Indonésie, entretient un rapport particulier avec la mort à nos yeux d’Occidentaux. Par exemple, dans un village, le narrateur découvre un arbre majestueux qui est réservé aux sépultures des très jeunes enfants. Le petit mort est déposé dans une cavité creusée dans l’arbre et au fil des années, la chair de l’arbre se referme et l’enfant peut commencer le voyage qui le fait monter vers les cieux. S’il nous fait réfléchir sur la place accordée à la mort dans notre société, ce livre est une ode à l’amitié et à l’amour. Il parle aussi de maladie, de souvenirs…
C’est suite à la mort d’un ami cher que le narrateur commence à se questionner sur la mort. Mais le propos n’est pas triste, c’est un texte méditatif et lumineux qui permet la réflexion.
De nombreux passages m’ont touchée dans ce livre et j’ai eu de la peine à faire un choix. Il est rare qu’un livre suscite autant de passages dont j’aimerais garder une trace. Celui-ci en fait partie et est assurément un livre à relire.
Le mot cancer dans nos sociétés résonne comme une antichambre de la mort. On ne guérit jamais d’un cancer. On est en rémission dans le meilleur des cas – la rémission des péchés est-elle du même ordre que celle-là ? Une sale maladie qui a pourtant un joli nom, mais que beaucoup de nécrologies et d’avis de décès choisissent de faire disparaître derrière des périphrases qui parlent le plus souvent de longues maladies. Il s’agit souvent d’un mensonge d’ailleurs, car il existe des cancers très pressés, qui détruisent les corps en quelques mois, voire quelques semaines, impatients sans doute de s’attaquer à d’autres corps. La clientèle est nombreuse. Elle ne tarit jamais.
Quand donc tombons-nous gravement malades ? Quand tout va bien ou quand tout va mal ? Dans la monotonie de jours qui se ressemblent ? Ou bien dans le dérèglement, la rupture d’un quotidien égal ? L’irruption d’une maladie comme un cancer, un AVC, un infarctus se produit-elle en raison de circonstances jusque-là non rencontrées et qui bousculent un équilibre ? D’un désir non exprimé de voir se produire quelque chose ? D’une usure née de la reproduction interminable du même refrain de l’existence ? D’une routine qui ferait baisser toutes les gardes ? Et peut-on relier le mal et l’homme ? Sommes-nous toujours et simplement les victimes de nous-mêmes, ou les coupables de notre propre chute ?
Notre vie n’est en rien une figure linéaire. Elle ressemble plutôt à l’unique exemplaire d’un livre, pour certains d’entre nous composé de quelques pages seulement, propres et lisses, recouvertes d’une écriture sage et appliquée, pour d’autres d’un nombre beaucoup plus importants de feuillets, certains déchirés, d’autres plus ou moins raturés, pleins de reprises et de repentirs. Chaque page correspond à un moment de notre existence et surtout à celle ou celui que nous avons été à ce moment-là, et que nous ne sommes plus, et que nous regardons, si jamais nous prend l’envie ou la nécessité de feuilleter le livre, comme un être tout à la fois étranger et paradoxalement étrangement proche.
De Philippe Claudel, j’ai lu quelques romans qui parlent également de mort mais de manière à chaque fois différente. Je ne peux que vous conseiller la lecture de ses romans où l’écriture de Philippe Claudel est à chaque fois un vrai régal.
« L’arbre du pays Toraja » de Philippe Claudel, Stock, 2016.
« Les Âmes grises » de Philippe Claudel, Stock, 2003.
« La Petite Fille de Monsieur Linh, de Philippe Claudel, Stock, 2005.
« Le rapport de Brodeck » de Philippe Claudel, Stock, 2007.