Comme dans ses deux précédents livres « Le coeur cousu » et « Du domaine des murmures », Carole Martinez revêt son habit de conteuse pour nous emmener dans un monde enchanteur où la réalité côtoie le mystère et le merveilleux.
Source : site de l’éditeur
Dans ce roman, on retrouve le domaine des Murmures avec Blanche dont on sait très rapidement qu’elle est morte à l’âge de douze ans en 1361. Roman à deux voix, son histoire est racontée tantôt par sa voix de petite fille tantôt par sa vieille âme qui s’ennuie dans sa tombe… La jeune fille, éprise de liberté, est emmenée par son père dans la forêt pour un long voyage mais elle n’en connaît pas les raisons.
Je suis plus petite que je ne l’ai jamais été au château de mon père dont je connaissais chaque recoin et que je ne m’imaginais pas avoir à regretter un jour. Je voudrais m’enfuir dans une coquille de noix pour échapper à ce vertige que me donne le voyage, pour me sentir en place, bien calée entre les choses, emmaillotée comme un poupard. Je voudrais tout ce qui m’exaspérait, naguère. Si j’étais celle que je croyais être, je cracherais au visage de ces brutes et je m’enfuirais. Mais où irais-je ?
Arrivée au château des Haute-Pierre, Blanche apprend qu’elle est là pour se marier plus tard avec le fils du seigneur, Aymon, un simple d’esprit qui tour à tour se prend pour un poisson ou se perche sur un arbre pour jouer du pipeau. Tout au long du récit, Blanche cherchera à savoir le secret de sa naissance, elle qui n’a pas connu sa mère. De son père, elle ne connaît que l’homme violent et guerrier, elle apprendra par d’autres quel homme il fût auparavant.
Les deux enfants s’aiment bien et profitent de jouer dans la nature quand ils ne suivent pas l’enseignement de maître Claude. En forêt, ils rencontrent Guillemette, ancienne cuisinière plantureuse du château qui maîtrise magnifiquement l’art de flatter le palais. Celle-ci est d’ailleurs appelée à nouveau au château pour ses talents…Tout le monde se réjouit de sa venue et un jeune marmiton profite de ses conserves évocatrices…
Elle s’est même amusée à l’observer lécher son index : elle savait que le carrelage de la cuisine se couvrait tout à coup pour lui de feuilles rouges et de bogues à moitié éclatées, que les couleurs d’octobre ambraient soudain les murs, que l’humus de la grande forêt lui chatouillait les narines. La surprise se dessinait sur les traits du marmiton à mesure que les vents d’automne lui agaçaient le bout de la langue.
Ce livre ravira les lecteurs qui ont aimé les deux précédents. Je trouve l’écriture très belle et on est rapidement emmené dans cette magnifique histoire poétique aux frontières du fantastique. L’auteure nous fait revisiter les contes de notre enfance (Petit Poucet, Hansel et Gretel…), vivre très proche de la nature au gré des humeurs de la Loue, rivière tumultueuse. Ce récit rythmé par des chansons de geste, nous fait découvrir des personnages attendrissants comme Aymon, Guillemette et ses fantômes, le cheval guerrier Bouc, un charpentier aux beaux yeux… La plume de Carole Martinez, puissante et charnelle, sait allier avec force et délicatesse la magie à la réalité plus brutale du Moyen-Âge.
« La terre qui penche » de Carole Martinez, Gallimard, 2015.